Quelques exemples littéraires de paysages d’exilés

Stanislas DELMOND dit Stany, 1870-1951 : Jeunesse aux Antilles, 1937

’Parti pour France, déraciné avant la vingtième année, j’eus fort à faire pour m’adapter au milieu nouveau. Température, coutumes, façon de penser, rapports sociaux, tout différait tellement. ’Comment peut-on être Persan ?’ pensai-je quelquefois. Et dix ans ne me furent pas trop pour une mue progressive en Français moyen de la métropole.

Toutefois, les souvenirs du terroir, certaines traditions et tendances ne s’abolissent point. Marque de bon régionalisme. Voici quelques-uns de mes souvenirs d’enfance et d’adolescence. (.)

En fait, il est impossible à quiconque de se rappeler rien de ce qu’il fut avant l’âge de quatre ou cinq ans. Mon plus ancien souvenir se place dans la région du flanc de la Montagne Pelée près du Morne  -Folie. (…)

Autant qu’il m’en souvienne, ces environs de Saint-Pierre Martinique vers 1880 étaient l’endroit le plus riant du monde. J’étais d’autant plus fondé à aimer cette contrée qu’elle était pour moi la première représentation de l’univers. Perçues avec répétition pendant toute l’enfance, les premières images finissent par s’incruster dans notre mémoire visuelle en des tableaux que l’on peut évoquer à tout moment dans le cours de l’existence. Je revois donc, si longtemps après, la région de Saint-Pierre au Prêcheur, avec sa succession de vallées verdoyantes où bruissent des ruisseaux qui deviennent à certaines saisons de furieux torrents ; ces vallons ou fonds enserrés par des mornes abrupts aux sommets arrondis. (…) Du sommet, les pentes dévalent doucement en éventail, entrecoupées par des ressauts qui sont les mornes. Vers le littoral, presque partout des champs de cannes à sucre ; à et là quelques plantations de cacaoyers dans les vallons abrités. Et aussi des ravins, fonds obscurs et sauvages’.

THALY, Daniel, 1876-1945, dans Poèmes choisis, 1976 :

Le paysage   enchanté, vision édénique des Antilles avant Colomb.

L’ILE LOINTAINE

Je suis né dans une île amoureuse du vent

Où l’air a des senteurs de sucre et de vanille

Que bercent, au soleil du tropique mouvant,

Les flots tièdes et bleus de la mer des Antilles.

Sous les brises, au chant des arbres familiers,

J’ai vu des horizons où planent des frégates

Et respiré l’encens sauvage des halliers

Dans ses forêts pleines de fleurs et d’aromates.

Cent fois je suis monté sur ses mornes en feu

Pour voir à l’horizon la mer splendide et nue,

Ainsi qu’un grand désert de sable bleu,

Border la perspective immense de la nue.

Contre ces souvenirs en vain je me défends.

Je me souviens des airs que les femmes créoles

Disent au crépuscule à leurs petits enfants,

Car ma mère autrefois m’en apprit les paroles.

C’est pourquoi toujours mes rêves reviendront

Vers ces plages en feu ceintes de coquillages,

Vers les arbres heureux qui parfument ses monts

Dans le balancement des fleurs et des feuillages

Daniel THALY

(Le Jardin des Tropiques, 1911)

Césaire PHILÉMON entre la pédagogie et le tourisme : Esquisses martiniquaises, 1931, p. 374-376 : description de la côte caraïbe en 1929.