Paysages littéraires de retour au pays natal

Il faut d’abord relever, après J. Corzani, que la plupart des hommes de lettres originaires de près ou de loin des Antilles et quelle que fut leur couleur – jusqu’à Alexandre Dumas – ont oublié leur patrie ou celle de leurs pères au point que jamais leurs œuvres n’en reflètent la moindre image, même fugitive [1]. Il en va ainsi de Pierre de Bologne, né à la Martinique en 1706, ou de Charles Joseph Loeillard d’Avrigny, né en 1760 dans la même île.

Si Moreau de Saint-Mery n’a pas pris la peine de faire la ’description’ de son île natale, après un séjour pour études en France, il n’en est pas de même pour son prédécesseur J.-B. Thibault de Chanvalon qui publie en 1763 son Voyage à la Martinique. Quoique né à Saint-Martin, Charles Auguste Sorin fait toute sa carrière à la Martinique où il meurt, à Saint-Pierre, en 1833. En grande partie inédite, son œuvre poétique a été signalée au public par l’historien martiniquais Sydney Daney en 1857 ; elle se rattache par le style et les thèmes à la poésie du XVIIIe siècle et s’intéresse peu au paysage   : ’M. Sorin ne fut pas ce que nous appelons un poête de la nature ni un poête du genre descriptif [2]’.

En fait, les rares auteurs créoles du XVIIIe siècle se plient aux règles du goût littéraire de la France : les paysages des Antilles ne constituent qu’un cadre réduit à la désignation de la faune et de la flore en termes génériques [3]. Dans un genre où l’on pouvait l’attendre, celle des fables imitées de La Fontaine, le paysage   est totalement absent de l’œuvre en créole de Marbot (1845).

Aux XIXe et XXe siècles, Dessalles, Delmond, Hélène Lemery, Tally, Tardon et autres déracinés, fonctionnaires ou non, semblent plongés dans une nostalgie souvent passéiste, au contenu parfois artificiel qui emprunte à celui de l’exotisme européen, mais traduisent une incontestable autonomie dans leur description du paysage   natal. De tous, Stany Delmond qui n’avait pourtant pas de prétention littéraires, est celui qui a le mieux conceptualisé cet état d’esprit, sans doute parce que l’objet de ses regrets a bel et bien disparu en 1902 [4]. Il en va autrement ensuite. Depuis la naissance de la ’négritude’ littéraire, l’homme a pris la place du paysage   dans la quête nostalgique d’identité et l’on a souvent l’impression que les écrivains ne voient plus la réalité paysagère autrement qu’à travers des filtres conventionnels. De façon plus générale, malgré le ’mythe du retour’ au pays natal – ou à cause de lui -, les originaires de la Martinique qui y viennent comme migrants saisonniers ou définitifs ont en tête des images qui ne sont guère différentes de celles que les agences de voyages formatent pour les touristes traditionnels en mal de soleil, de plages au sable blanc et de mer turquoise, sans oublier les cocotiers.