L’importance majeure des paysages agricoles
Paysage de campagne habitée. Ici à Morne des Esses
La campagne habitée au-dessus de Gros-Morne. Imbrication fine du bâti, du végétal utilitaire et du végétal ornemental, des arbres et des pâtures.
Avec 28 000 hectares de SAU sur le département (source Agreste – 2008), les espaces agricoles couvrent aujourd’hui seulement un quart de la superficie de la Martinique. C’est beaucoup moins que la surface occupée il y a encore 50 ans (80 000 hectares d’après la SAFER ?), mais moins aussi qu’au XIXe siècle (40 000 hectares en 1895) et même au XVIIIe siècle (36 600 hectares en 1788).
Cette part objectivement assez réduite des espaces agricoles, et qui va s’aggravant, représente mal leur importance majeure en termes de paysage et de cadre de vie pour les Martiniquais. En effet, contrairement aux espaces « naturels » et forestiers, davantage « valorisés » par les approches écologiques et environnementales du territoire, les espaces agricoles Martiniquais ne sont pas cantonnés aux secteurs inhabités de l’île, isolés en altitude ; ils sont au contraire intimement liés, physiquement et visuellement, au cadre de vie quotidien ; ils se déploient en grandes étendues sur les pentes basses et littorales de l’île, là même où s’épanouissent les villes et les bourgs, où les habitants habitent, travaillent et se déplacent chaque jour, où les touristes amateurs de littoral balnéaire séjournent ; lorsque les cultures remontent en altitude, sur les pentes raides et spectaculaires des mornes du sud notamment, ils accompagnent toujours de façon intime les habitants, sous forme de jardins créoles, d’espaces vivriers, là encore au cœur du cadre de vie quotidien des Martiniquais. La « valeur » des espaces agricoles n’est donc pas seulement économique par les productions offertes et le nombre d’emplois créés ; elle est aussi profondément culturelle, et prend même une dimension économique-touristique en bonne partie ignorée, sous-valorisée et non évaluée : les paysages de la Caravelle, de la presqu’île de Sainte-Anne et ceux des baies n’auraient pas la même valeur si les étendues de canne ou les pâturages manquaient.
Les grands espaces agricoles des plaines littorales mettent en scène les villes ; ici Le Robert, arrivée depuis La Trinité
Cette proximité immédiate aux secteurs d’habitat et d’activités fait bien sûr une part de la fragilité des espaces agricoles, puisqu’ils subissent partout de plein fouet la pression foncière pour être urbanisés. Mais c’est aussi ce qui fait leur qualité, pour peu qu’on leur permette d’exister et de fonctionner dans un tel contexte. On peut même affirmer que ces espaces agricoles, outre leur valeur paysagère culturelle, jouent un rôle urbain structurant. Ce sont eux en effet qui composent les espaces de respiration et les coupures d’urbanisation, qui évitent la constitution d’urbanisations continues faisant disparaître l’identité des bourgs et leur claire distinction les uns des autres.
Les espaces agricoles de Martinique, pourrait-on dire, sont finalement péri-urbains (grandes cultures) voire habités (cultures vivrières). Leur valeur est d’autant plus grande qu’ils prennent place dans un contexte de forte densité et de forte pression urbaine.