Le plan de l’habitation

L’organisation spatiale de l’habitation   n’est visible sur les cartes qu’à partir de celle de Moreau du Temple (1770). Sur les cartes de Moreau du Temple et celles de Monnier, ainsi que sur les “routiers”, ce n’est plus seulement l’habitation   et la nature du moulin des sucreries qui sont représentés, mais le plan de l’ensemble de ses bâtiments, industriels et domestiques, et même son parcellaire. En somme, c’est la première représentation du paysage   agraire : champs de canne, jardins, “lisières” ou haies, “raziers”, bois et mangles.

Plan « routier » 1785
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Grâce à la transcription en plan des divers éléments de l’habitation   sucrerie, on peut distinguer la partie industrielle avec le moulin et la partie domestique divisée entre les cases à nègres, alignées en minuscules rectangles très rapprochés, et la grand’case   ou maison de 1’habitant, plus importante et isolée par ses dépendances. L’habitation   elle-même connaît un habitat rassemblé dont le pôle, l’élément central, n’est pas la « case   à demeurer », puis la « grand’case   » de l’habitant sucrier, mais le moulin et le « foyer » (fourneaux de la sucrerie).

Le type d’habitat lié à cette forme d’exploitation de la terre est un habitat ramassé en petits groupes au centre de chaque domaine. Eugène Revert a employé, pour définir ce groupement des ’cases à nègres’ (où se trouvaient aussi les engagés blancs) autour de la ’maison du maître’ et de la sucrerie, l’expression de groupements ancillaires des vieilles habitations [1]. En outre, le littoral attire partout la partie industrielle et si la partie résidentielle est souvent située en hauteur, ce n’est pas pour des raisons de ’confort’, comme on l’affirme souvent, mais, le plus souvent, par les nécessités techniques de la production et de l’évacuation des produits.

Ces cartes donnent aussi le plan des autres habitations, mais ne permettent pas l’attribution domestique ou agricole des bâtiments représentés.

Les habitations isolées dont rend compte la carte de Moreau du Temple, ne sont souvent identifiées que par le mot “Caze” ou la “qualité” de l’occupant : “Nègre libre”, “Mûlatre” ou “Mulatresse”, parfois par son nom. Ces mentions cartographiques prouvent l’existence, dans le paysage   agraire, d’une petite propriété libre, indépendante de l’habitation   voisine et s’adonnant à d’autres productions.

Entre Bellin et Moreau du Temple, la vision schématique d’une domination totalitaire du terroir martiniquais par la grande habitation   esclavagiste, particulièrement l’habitation   sucrerie, est donc à écarter. La toponymie d’aujourd’hui conserve le souvenir de ces ’jardins de liberté’, souvent donnés à des libres de couleur par leur père blanc, dans la région longtemps réputée ’sauvage’ de la Barre de l’Isle. Ces Fonds Gens Libres se trouvent en effet dans les communes du Marin, de Rivière-Pilote et du Vauclin.