Exotisme européen

L’exotisme européen a d’abord longtemps retenu de la Martinique les ’impressions inaugurales’, plus puissantes dans les chroniques du XVIIe et du début du XVIIIe siècle. Il a ensuite recherché de préférence les douces variations plutôt que les contrastes brutaux de la nature. Les paysages y ont parlé à la sensibilité autant qu’aux sens, suscitant ici et là une ’bonne monnaie mythologique’ (R. Antoine) sur un fond   traditionnel qui reflète rarement une impression spontanée. Sur le plan humain, l’étrangeté de l’Antillais – car on a rapidement oublié le Caraïbe – n’a plus été l’axe des textes, dès le XVIIIe siècle, mais bien plutôt le rapport que l’écrivain blanc d’Europe pouvait entretenir avec lui, entre différence et ressemblance, dans une dialectique convenue à force d’être répétitive.

Notons que si les premiers chroniqueurs du XVIIe siècle ne célèbrent pas la nature vierge, au moins la remarquent-ils, à la différence de nombre de leurs successeurs du XVIIIe siècle. Rochefort (Histoire naturelle, 1658) invite à admirer les pentes cultivées ’le beau vert naissant du tabac planté au cordeau, le jaune pâle des cannes à sucre qui sont en maturité, et le vert brun du gingembre et des patates’. L’état de nature ne l’attire en rien et cela nous confirme, au niveau de la littérature, cette appréhension du réel entre les deux pôles du ’sauvage’ et du ’cultivé qui constitue pour l’Européen d’alors une sorte de clé du monde.

Le père Labat atteste que la beauté – donc l’attirance – réside du côté des cultures, non du côté des sites sauvages :

’Tant on trouve de différence entre le sommet affreux de cette montagne (…) et le milieu et le bas que l’on voit couvert d’une agréable verdure, arrosés d’une infinité de ruisseaux, et cultivés avec tout le soin et l’industrie possibles’ (Nouveau Voyages, 1722).

Lorsque s’atténue la lecture en binôme, un regard enchanté rassemble des éléments de la réalité concrète dans l’intention de perpétuer par l’écrit le ravissement éprouvé ’en vrai’. Il en résulte souvent des stéréotypes - de perception comme de représentation – transmis d’auteur à auteur plutôt que des transcriptions personnelles de paysages saisis parce que saisissants. C’est une manière d’écrire à l’exotique qui convient à n’importe quelle réalité objective mais qui peut trouver des accents romantiques et donc plus personnels lorsqu’elle se risque à saisir les espaces sauvages : montagnes, falaises, ravines, grand bois, tels qu’ils sont décrits dans Le Morne   au Diable d’Eugène Sue (1842).