Le Nord
La fréquentation européenne, puis l’occupation coloniale, se sont longtemps cantonnées à la Basse Terre (sous le vent), au nord de Fort-de-France, d’abord pour des raisons nautiques.
La Route des Galions passait à proximité de la Martinique où les Espagnols se rafraîchissaient. Espagnols, Anglais et Hollandais s’intéressaient aux salines et aux étangs d’eau douce du Sud-Est, réparant leurs avaries au carénage de la baie des Gallions, mais les navires français évitaient systématiquement le sud et l’est de l’île.
De simple escale de rafraîchissement pour les flottes espagnoles, anglaises, hollandaises puis françaises, la Martinique devient à la fin du XVIe siècle, lieu de refuge pour des naufragés ou des navires en difficulté mais aussi repère de flibustiers. Après y avoir cherché de l’eau, des vivres frais et du gibier, sans s’attarder, les Français se mettent à traiter ou troquer plus longuement avec les Caraïbes.
Autour de 1610-1620, les escales des Anglais, des Français puis des Hollandais se transforment en séjours prolongés. Tout en approvisionnant les équipages de passage en viande fraîche et boucanée, des communautés de marins s’installent à terre, coupent et entreposent du bois, cultivent le pétun (tabac en tupi-guarani) et le coton à la mode des indigènes. Elles fournissent de petites cargaisons aux capitaines venus traiter aux Amériques. Cette évolution est renforcée par l’essor de la vente du tabac et de l’indigo ainsi qu’à une circulation plus active des Hollandais dans les îles [1].
Ainsi, la Basse-Terre de la Martinique (qui n’a pas conservé son nom), comme celle de la Guadeloupe, ont été de longue date fréquentées avant qu’un établissement permanent ne s’y forme. A. Pérotin-Dumon a raison d’écrire des bourgs que ’leur longévité est sans doute forte de ce temps long qui les a précédés.’ [2]
Sébastien Le Clerc, rencontre entre Du Parquet et un capitaine Caraïbes vers 1650
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Dans la baie de Trinité, à la pointe Beauséjour, Du Parquet fait construire un fortin pour surveiller les Caraïbes et protéger les coureurs de bois français qui s’aventure jusque-là, c’est le « fort de la Cabesterre » : « une simple maison de bois environnée de pieux pour toute défense ». Durant la période de tension croissante avec les Caraïbes, entre 1654 et 1658, cinq soldats y logent. C’est à l’îlet Monsieur qu’il établit un campement temporaire, lorsqu’il rend visite aux capitaines caraïbes.
L’anse Céron et l’anse Couleuvre sont précocement occupées, dès la fin des années 1630, et l’exiguïté relative des concessions qui les partagent en 1671 est une preuve de cette ancienneté. Au moment où la Grande Rivière est signalée par la carte de Sanson-Mariette (avant 1645) et par celle de Visscher (avant 1650), son embouchure a été reconnue depuis longtemps mais n’est certainement pas occupée : elle sert de halte aux Français qui gagnent la Capesterre demeurée caraïbe pour la pêche et la traite. Les chroniques, les cartes anciennes, les recensements et le terrier de 1671 donnent à penser que les premiers concessionnaires du sud de l’anse Couleuvre n’ont obtenu de nouvelles ’places’, plus au nord puis vers le ’Plat Païs’ de la Basse Pointe, qu’à partir de 1659. Ils ont procédé par glissements successifs comme le prouve le cas exemplaire de Séron : sur la carte de Blondel (1667) apparaissent en effet les toponymes Ance du Ceyron, Isles du Ceyron, en même temps qu’une habitation Ceyron au Macouba qui signalent les acquisitions successives de l’un des premiers habitants recensés au quartier du Prêcheur : Le Séron.
En 1659 en effet, Madame Du Parquet attribue les premières concessions au-delà de la Grande Rivière, ’pour éloigner & occuper une quantité de séditieux & de vagabonds, qui nuisoient au bon ordre de la Colonie [3]’. L’accession à la propriété dans ces régions périphériques se fait individuellement, lorsque l’on peut s’isoler sans danger des Caraïbes. Les grandes concessions sont attribuées à des habitants déjà installés à Saint-Pierre ou venus de Saint-Christophe et non pas à de nouveaux arrivés d’Europe comme on pourrait le croire. Les petites concessions se peuplent au fil des années d’engagés libérés, de soldats réformés venus d’Europe, d’hommes de couleurs nés libres et plus tard de quelques esclaves affranchis.
En 1671, aucun colon ne s’est encore aventuré au sud de la baie de Trinité. Cet état de choses se prolonge pour l’est et le sud de la presqu’île, jusqu’au début des années 1690. Jusqu’à cette date, seuls quelques hardis colons avaient défriché les environs immédiats du fort et de la chapelle de Trinité construits avant 1667 [4]. Jusqu’à la fin des années 1680, n’est pas la rivière du Galion qui a servi de limite méridionale à la colonisation de la Capesterre, mais une ligne courant de la rivière Epinette à la pointe Marcussy et à l’îlet Galion, repères naturels fixes permettant un arpentage des plus sommaires, comme le prouve la carte du père Plumier (1688).
L’état actuel des connaissances archéologiques, la cartographie historique, avec l’absence de toponymes d’origine amérindienne à l’ouest de Macouba et les chroniques françaises les plus anciennes obligent à supposer que les premiers colons ne se sont pas immédiatement substitués aux Caraïbes qui, au XVIIe siècle, n’occupaient plus de façon permanente cette partie de l’île se contentant d’y faire relâche, en route vers la Dominique. Le texte le plus précis à ce propos est celui du Conseil souverain dont les Annales ont été transcrites par P. R. F. Dessalles en 1786 :
’Établissement de la Cabesterre, & du Fort de la Trinité… : Quoique l’isle appartint en entier à M. Duparquet, les Français n’en habitoient cependant que la partie de dessous le vent ; les Sauvages s’étoient réfugiés à la Cabesterre, & l’occupoient en entier ; c’est-à-dire, depuis la grande Rivière, Paroisse du Macouba, jusqu’au Simon, quartier du François… [5]’.
Ils n’ont été refoulés du ’Plat Païs’, à l’est de la grande Rivière, qu’en 1658. Jusqu’à cette date, les Français n’occupaient que la bordure côtière allant de la Rivière Madame, au Sud, à la Grande Rivière, au Nord.