10 - Le foisonnement des jardins créoles

Un jardin créole et son foisonnement végétal, piqué de cocotiers, bananiers et arbres à pain (dessin B. Folléa)
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Le jardin créole constitue le tissu végétal de l’habitat, notamment dans les hauteurs des mornes habités (ici vers Morne-des-Esses)
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Le débordement du jardin créole : une générosité qui valorise le paysage Martiniquais des routes et des rues
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« Pour nous, peuples des caraïbes, le drame de la transplantation et du déracinement n’a pas facilité la relation du migrant nu (l’esclave africain) avec le paysage  . Il l’a vu comme une masse nue, inextricable, impénétrable. Il s’est initié aux paysages à travers la pratique du jardin créole  , ce lopin de terre qu’on leur tolérait de cultiver. Et c’est grâce à cela qu’ils ont appris à distinguer et classer ce chahut végétal. »

Serge DOMI, sociologue
Colloque Paysage   organisé par la DIREN, octobre 2010

Les jardins créoles, qui environnent généreusement les espaces habités, en particulier dans les hauteurs de l’île, jouent un rôle précieux pour les paysages de la Martinique. Ils marquent en particulier les pentes intermédiaires du nord-est atlantique (Unité de paysage   n°2.4. « La campagne habitée, de Morne   Capot à Saint-Joseph »), les pentes agricoles du Morne  -Vert (unité de paysage   n° 2.2), les mornes (unités de paysage   n° 5.1. Les mornes du Vauclin, et n° 5.2 Les mornes du centre (Duchêne, Morne   Pavillon, …), les collines de Saint-Esprit (Unité de paysage   n° 5.3).
Pour Vincent Huygues-Belrose, historien, « il surprend par sa complexité, son apparent désordre et sa double localisation, accolé à la maison (jaden bo kay) et dispersé en parcelles parfois très éloignées (bitué   et dégra  ). Trois constantes caractéristiques permettent de le reconnaître : la présence d’arbres autour de la maison, la présence de plantes médicinales, ornementales et prophylactiques, la présence de plantes alimentaires majoritaires, même si les cultures vivrières ne sont pas très importantes. Sur le plan visuel, le jardin créole   frappe par l’apparent désordre des plantations et par leur stratification en hauteur ». (Le jardin créole   à la Martinique, une parcelle du jardin planétaire – PNRM 2011).

Le foisonnement des jardins créoles est créateur d’ambiances végétales de grande qualité, tout en tempérant la présence des cases dans les pentes très visibles des mornes. Ils contribuent à alimenter une partie des familles, ils garantissent une occupation pour une population largement touchée par le chômage, en même temps qu’ils procurent la fierté d’une production. Outre ces valeurs paysagères, économiques et sociales, les jardins créoles constituent un trait culturel majeur de la Martinique. Leurs aspects variés et complexes sont l’héritage mêlé et évolutif des « ichalis » caraïbes, des « plantages » ou « places à vivres » au temps de la colonie esclavagiste, des « lougan » ouest-africains, des « jardins de cases » et « jardins à nègres » africains, des « dégrads » et des « habituées » cultivés par les marrons, les libres de savane, les mulâtres libérés voire les déserteurs blancs, des jardins arborés « bô kay » qui entourent les maisons, voire des jardins « an piyon », au pignon de la maison.

Comme l’explique Vincent Huygues-Belrose, le jardin créole  

« témoigne d’un savoir-faire ancien, ingénieux aussi bien dans sa structure que dans l’association variée de plantes légumières, fruitières, médicinales et décoratives. Ce sont des jardins qui conservent des variétés anciennes de cultivars, abandonnés partout ailleurs pour leur moindre productivité ou leur inutilité apparente. (…) Le jardin créole   a une grande incidence symbolique en structurant, en marquant le paysage   ou les espaces particuliers : domestiqué, à portée de la main, il fournit tout ce dont l’homme a besoin ; en même temps désordonné, sauvage, à la limite des grands bois et des mystères de ce qui n’est pas humain, il est le pont entre l’homme et la Nature, le lieu de fusion avec elle. »