Six ensembles paysagers

« Au nord du pays, l’encerclement de verts sombres que les routes n’entament pas encore. Les marrons y touffèrent leurs refuges. Ce que tu opposes à l’évidence de l’Histoire. La nuit en plein soleil et le tamis des ombres. La souche, sa fleur violette. Le lacis des fougères. La boue des premiers temps, l’impénétrable originelle. Sous les acomas disparus la rectitude des mahoganys que des anses bleues supportent à hauteur d’homme. Le Nord et le Mont se marient. On y échoua ces populations de l’Inde qui furent trafiquées au XIXe siècle (…). Aujourd’hui les plantations rases d’ananas ouvrent des brèches d’aridité dans ces aplombs. Mais leur plat rêche est dominé de l’ombre des grands bois. (…) Au centre, l’ondulé littéral des cannes. Le mont s’apprivoise en mornes. Les carcasses d’usines s’y tapissent, portant témoignage de l’ancien ordre des Plantations. A l’embouchure du soleil couchant, faisant limite entre les hauts du Nord et des plats du Mitan, les ruines du Château Dubuc où débarquèrent les traités (c’est l’écho de Gorée d’où ils partirent) et où des geôles d’esclaves dessinent encore leurs souterrains. Ce que nous appelons la Plaine, où dégorgeait la Lézarde et d’où les crabes ont disparu. On ya mastiqué le delta de semblants d’entreprises, d’un aérodrome. A la main tombante, l’échelonnement des bananes, rideau d’écume verte épaisse entre la terre et nous. Le Sud enfin, où les cabris s’égaillent. L’émoi des sables, oublieux de tant qui chevauchèrent les troncs de coco, essayant jadis de rejoindre Toussaint Louverture dans le pays d’Haïti. Ils moururent au sel de la mer.Leurs yeux chavirent dans notre soleil. Nous nous arrêtons, ne devinant pas ce qui nous alourdit là d’une gêne innombrable. Ces plages sont à l’encan. Les touristes les réclament. Frontière ultime, où sont visibles nos errances d’hier et nos perditions d’aujourd’hui. Il y a ainsi des temps qui s’échelonnent sous nos apparences, des Hauts à la mer, du Nord au Sud, de la forêt aux sables. Le marronnage et le refus, l’ancrage et l’endurance, l’Ailleurs et le rêve. (Notre paysage   est son propre monument : la trace qu’il signifie est repérable par-dessous. C’est tout histoire) ».

Edouard Glissant, le discours antillais, Gallimard 1997

Au-delà de ce premier découpage grossier en deux grands secteurs géographiques, les paysages s’identifient plus précisément en six grands ensembles :

- Au nord le massif de la Pelée et celui des Pitons du Carbet diffèrent, dessinant deux ensembles distincts :

Le massif de la Pelée, vu depuis l’observatoire du Morne des Cadets

  • la Montagne Pelée dessine un cône raide qui plonge directement dans la mer ; les rivières dessinent de profonds canyons dans ses flancs, courts et filant droit à la mer ; des planèzes en lanières régulières peuvent être cultivées dans les pentes nord-est moins raides ;

La Route de la Trace, à travers les Pitons du Carbet

  • les Pitons du Carbet, prolongés par le Morne   Jacob, anciens volcans érodés, dessinent un massif plus complexe, avec des sommets successifs distincts que séparent de profondes vallées ; les pentes plus longues à l’est, à la morphologie chahutée par le chevelu des rivières, dessinent des paysage   agricoles spécifiques en amont des plaines littorales ;

Au sud, quatre ensembles se dégagent

La plaine cultivée du Lamentin, vue depuis les pentes de Morne Roches

  • la baie de Fort-de-France dessine une profonde et vaste échancrure ouverte vers l’ouest : elle sépare et relie à la fois les pentes des Pitons du Carbet, conquises par l’urbanisation de l’agglomération Foyalaise, et celles de la presqu’île du Sud-ouest, piquées d’urbanisation plus modeste autour de Trois-Ilets. Le fond   de la baie, commandé par Le Lamentin, Ducos et Rivière-Salée, forme une grande plaine horizontale, drainée par la Lézarde et par la rivière Salée, dévolue aux grandes cultures et au passage des grandes infrastructures, qui s’achève en mer par de vastes mangroves ;

La presqu’île du Diamant vue depuis Desmarinières

  • la presqu’île du Diamant est dominée notamment par la puissante silhouette du Morne   Larcher ; les pentes raides et boisées, plutôt sèches et ensoleillées, tombent directement dans la mer en se festonnant en anses successives diversement orientées, cadrées par d’élégants reliefs : les Anses-d’Arlet, Petite-Anse et la Grande Anse du Diamant notamment ;

Les mornes du sud vus depuis les environs des Coulanges (hauteurs de Sainte-Luce et Rivière-Pilote).

les mornes de Bel Air/Duchêne vus depuis les mornes du sud, dont ils sont séparés par la plaine de Saint-Esprit

les mornes du sud, dominés par la Montagne du Vauclin mais aussi par ceux de Duchêne plus au nord, composent un vaste espace en cœur sud de l’île, très original avec son urbanisation vertigineuse spectaculairement accrochée en crête, mais aussi avec ses collines agricoles diversifiées qui clapotent en contrebas des mornes (secteur Saint-Esprit notamment) ; dominant largement la plaine du Lamentin à l’ouest, cet ensemble plonge dans la mer au sud en une côte raide et sèche (Sainte-Luce) et s’achève à l’est en une côte aux paysages riches et complexes, découpés en baies successives que séparent des pointes et que prolongent en mer des chapelets d’îlots ;

La presqu’île de Sainte-Anne, vue depuis le morne Gommier.

  • la presqu’île de Sainte-Anne à l’extrême sud, moins élevée, plus sèche, plus sauvage et moins urbanisée, est aussi la plus fréquentée par les touristes grâce à la qualité de ses plages et sites naturels.

Au total, ce sont ainsi six grands ensembles qui se distinguent :

  • 1. La Pelée
  • 2. Les Pitons du Carbet
  • 3. La baie de Fort-de-France
  • 4. La presqu’île du Diamant
  • 5. Les mornes du sud
  • 6. La presqu’île de Sainte-Anne