Les manuels scolaires

Introduction

On ne saura jamais si les maîtres des Petites écoles attachées aux diverses paroisses, prenaient prétexte de l’enseignement de la lecture pour sensibiliser leurs élèves à la géographie ou, plus simplement, à leur environnement. Cette démarche pédagogique paraît encore si difficile et si peu spontanée aujourd’hui que l’on peut en douter. C’est la volonté républicaine de créer une nation à partir des enfants de l’école publique qui donne le coup d’envoi de l’enseignement du « sol national », de la Patrie. Transférée aux Antilles, la géographie nationale donne lieu, immédiatement, à des adaptations locales et provoque la rédaction puis l’édition des premiers manuels de Géographie de la Martinique, en 1884.

La documentation sur laquelle ils reposent d’abord n’est pas surprenante : c’est celle que diffuse officiellement l’administration coloniale dans les Annuaires de la Martinique après l’avoir collectée auprès de fonctionnaires locaux, tel Moreau de Jonnès. Mais, dès 1900 avec Gaston Landes, ces annuaires et autres présentations de l’île à l’occasion d’expositions en Europe sont rédigés par des enseignants créoles ou installés depuis longtemps : Césaire Philémon, Sylvestre, Paul Boyé, Eugène Revert, Réjon.

Le texte

Les cartes et illustrations

Les travaux pratiques

Dès le début de la scolarisation publique à la Martinique, des manuels destinés à enseigner la géographie locale sont rédigés et imprimés sur place. Les plus anciens nous donnent une vision du paysage   de leur temps mais ne cherchent pas à donner une idée de l’environnement durant les périodes anciennes.

Page d’un manuel d’Éveil, Nathan, 1976
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Page d’un manuel d’Éveil, Nathan, 1976
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L’enseignement de l’histoire, qui vient immédiatement avec, ne se soucie pas plus, du moins au début, de cette évocation des paysages du passé qui apparaît cependant ici et là dans les livres de lecture. Jules Lucrèce est le premier, mais aussi le dernier, à évoquer ’l’aspect de l’île’ dans son Histoire de la Martinique de 1930. C’est dans un enseignement distinct, dispensé seulement dans le premier cycle, qu’une telle démarche est proposée aux élèves sous le nom de ’connaissance du milieu’. Au départ, cette évocation est purement textuelle, mais à partir des années 1970, elle s’appuie parfois sur des dessins et des schémas dont l’intérêt est surprenant. Cependant on doit noter que les manuels ne cherchent pas à montrer ’comment c’était’, mais seulement quels hommes étaient là et comment ils vivaient. Le paysage   n’intervient au mieux que comme un décor.

Aspect. Manuel de Géographie par E. J. Fonteix (1884)

’La Martinique est une des plus belles Antilles, sa végétation luxuriante l’a fait surnommer ’la perle des Antilles’.. Elle possède de beaux ports : ceux de Saint-Pierre et de Fort-de-France font l’admiration des voyageurs : ce dernier est le plus important de tout l’archipel. (…)

Comme forme, la Martinique est très irrégulière, elle est formée de deux presqu’îles que réunit un isthme s’étendant de la baie de Fort-de-France au Robert. Cette division toute naturelle sert de point de départ à la délimitation des circonscriptions administratives de la Colonie.

La Martinique a de belles et riches forêts mais il est assez difficile de les explorer à cause d’un terrible serpent qui en défend l’entrée : le trigonocéphale ou vipère fer de lance. Les produits de ces forêts consistent surtout en bois de construction, tels que l’acajou, le bois de fer, le mahogany, etc.’

Aspect de l’île. Histoire de la Martinique par J. Lucrèce (1930) :

’La Martinique n’avait pas l’aspect qu’elle présente aujourd’hui. Elle était alors couverte de vastes forêts où pullulaient l’agouti, le manicou, le lézard et le redoutable trigonocéphale ; elle ne possédait ni ville, ni bourg, ni hameau. Cà et là, s’élevaient sur la côte, au fond   des anses ou à l’embouchure des rivières, les grossiers carbets en bambou et en roseau des Caraïbes.

Aucune route ne donnait accès à l’intérieur de l’île où les Caraïbes, protégés par la forêt vierge, se réfugiaient en cas d’attaque. (…)

Habitation  . – Ils vivaient dans des carbets, huttes construites en roseau ou en bambou et recouvertes de feuilles de cocotier.

Les enfants vivaient nus avec leur mère dans des ajoupas, sortes de carbets dont le toit était formé d’un seul versant. Les hommes dormaient dans des hamacs en coton tressés par leurs femmes.’

. Si le concept de paysage   est banalisé, instrumentalisé par les médias, il ne peut être considéré comme abstrait et encore moins comme étranger à la culture martiniquaise, puisque, précisément, la ’lecture du paysage  ’ est un des éléments de cette culture que les écoles de la République inculquent à tous. Il n’en demeure pas moins problématique, complexe et polysémique et son utilisation pratique suppose, au préalable, le dépassement des confrontations de sens et d’usage et la formulation de propositions qui rapprochent le paysage   de la culture enseignée des besoins de l’aménagement du territoire et de la protection de l’environnement naturel et culturel.

Le paysage   enseigné repose sur des images qui formatent de façon particulière (cadrage mixte médian) et mettent en scène des fractions particulières du territoire (hauts lieux de l’iconographie géographique). L’iconographie de la partie consacrée à ’Paysages et genres de vie’ dans le premier volume de l’Historial Antillais est un exemple caractéristique de ce formatage [1], alors même que ses auteurs prétendaient échapper à la réduction historienne du paysage   à un simple décor pour la mise en scène des évènements.

Le paysage   enseigné ritualise (rituel initiatique collectif de la Patrie ?) une imagerie pédagogique répétitive et limite étroitement le sens conféré à la figuration du réel : positivisme latent, grossissement des traits et des contrastes, gommage des nuances, des exceptions et des dynamiques…

Plus ou moins conscients des effets pervers - en tout cas de l’absence d’innocence - de l’usage de la photographie de paysage   et de son insuffisance, les enseignants de géographie y ont depuis longtemps associé des cartes et des graphiques. Mais, sous l’influence de la cartographie thématique puis systémique, le souci pédagogique a conduit à une corruption de l’usage de l’atlas : l’apprentissage de la lecture de carte est dissocié de celui de la lecture d’images ou de graphiques. En outre, la carte topographique a reculé et la carte géologique a disparu, au point que les étudiants de 1ère année de géographie ne savent pas lire une carte topographique et n’ont jamais vu une carte géologique.

Or, c’est la carte topographique seule qui permet de garder le contact avec le terrain visible et les images photographiques. Depuis maintenant vingt ans, ceux qui sortent du circuit scolaire au niveau du baccalauréat n’ont jamais appris à établir une continuité de signification (et même d’orientation !) entre des lieux photographiés et des espaces cartographiés