Des paysages de l’eau construits et patrimoniaux

« Pas une habitation   sans une source ou rivière, l’eau ordonnait tout, et les rivières accueillaient les rencontres familiales, les prises d’air du dimanche. C’est comme si la végétation se liquéfiait pour engendrer l’eau vive, et que l’eau vive alors se transmutait en arbres. Et quand les arbres ont reculé, les rivières ont séché. »

Patrick Chamoiseau
Trésors cachés et patrimoine naturel de la Martinique vue du ciel- HC Editions 2007

Le canal de Beauregard, vers Fonds-Saint-Denis, devenu support de sentier de découverte

Au temps des habitations, la nécessité de l’eau a amené les hommes à construire des canaux d’adduction, profitant d’une main d’œuvre esclave et bon marché. Revert cite une notice sur le Carbet précisant que « la distillerie actuelle de M. Bally est alimentée par l’eau de la rivière que conduit le canal dit Delajus, du nom de l’ancien propriétaire du domaine. Ce canal, qui aurait nécessité trois ans de travail, est antérieur à 1848. Il passe sous le Morne  -Charlotte. Sa partie souterraine a plus de 100 mètres de long.

Un autre canal bien plus long et creusé aussi par la main des hommes conduit l’eau de la Rivière du Carbet, des hauteurs des Pitons, à l’habitation   Desfontaines. C’est le canal de Fonds-Mascret. » L’usine de Vivé était alimentée par une dérivation de la Capote, la distillerie Beauséjour par l’eau d’un bras de la Grande-Rivière captée plusieurs kilomètres en amont.

Le Canal du François, exemple intéressant de paysage de l’eau construit par les hommes

Dès qu’une rivière avait quelque importance, elle était dérivée de façon à profiter de l’eau sans trop craindre les violentes inondations cycloniques. Sur les ravines secondaires, des digues s’efforçaient de retenir les eaux des plus grosses « avalasses », sauf à céder à l’occasion. Mais, en pays sec ou demi-sec, la force motrice était autre : le Centre et le Sud ont été le domaine des moulins à bestiaux ou à vent, ainsi que des citernes et des mares pour stocker l’eau qui manquait en particulier pendant les longs mois de Carême.

Le lac réservoir de la Manzo

Plus récemment, la différence de la présence de l’eau entre nord et sud a conduit à d’importants travaux d’irrigation et d’alimentation en eau potable du sud à partir du nord. L’équipement le plus visible est la retenue de la Manzo, au centre de l’île, qui permet l’irrigation pour l’agriculture. Cette irrigation a contribué à transformer les paysages agricoles du sud, autorisant des cultures gourmandes en eau comme la banane. Mais l’alimentation fiable en eau potable reste un défi en Martinique, la sécurisation du service de distribution de l’eau étant d’autant plus difficile que plus de 90% de la ressource exploitée est d’origine superficielle.

Si la répartition dans l’espace est inégale, elle est tout aussi mal répartie dans le temps, conduisant partout, au nord comme au sud, à des crues subites et violentes, en particulier lors des épisodes cycloniques de l’hivernage. Il en résulte des risques d’inondation et de glissements de terrain, qui conditionnent en partie l’aménagement du territoire. Les tristes maisons déchaussées sur les pentes du François témoignent de ces risques liés aux glissements de terrain. Les talus des routes à vif aussi (voir le chapitre « Les paysages et les sols » dans le présent Atlas).

A Fort-de-France, l’eau a largement conditionné le développement de la ville. Les terres lagunaires et marécageuses des rivages de la baie n’étaient pas favorables à l’urbanisation. Le bourg restera longtemps malsain, ce qui explique en partie le refus prétexte des planteurs et des négociants de Saint-Pierre pour s’y installer. Tous les plans d’extensions successives de la ville, ceux de 1700, 1726, 1761, 1774 et 1783, organisent la lutte contre l’eau qui inonde régulièrement Fort-de-France. Chaque extension du centre s’opère en comblant les canaux du plan précédent et en réalisant de nouveaux travaux de canalisation et de drainage.