Usines et distilleries

Dans les campagnes, les habitations sucreries traditionnelles se maintiennent jusqu’en 1869, il en subsiste 564 en 1875 dont 88 équipées de moulins à vapeur. Jusqu’en 1843, les ’habitants sucriers’ se montrent réservés devant les innovations industrielles et ne songent, au mieux, qu’à rationaliser l’ancien système. Le nombre des machines à vapeurs passe difficilement de 11 à 33 entre 1839 et 1847, mais cela suffit à modifier le paysage   de quartiers comme ceux du François, de Sainte-Anne, du Vauclin, du Robert, de la Trinité et de Sainte-Marie : c’est la côte au vent qui s’équipe la première, à une époque où les terres basses du pourtour de la baie de Fort-de-France n’ont pas encore été drainées. Sur cette partie de l’île les innovateurs cherchent à entraîner dans leur orbite de petits habitants vivriers ou caféiers reconvertis dans la canne.

Dans les années 1860, se mettent en place les usines centrales et les usines syndicales. On entend par ce terme, une usine qui placée au milieu de quatre ou cinq habitations qu’elle dessert appartient à un tiers qui fabrique à son compte et paie aux propriétaires qui lui fournissent des cannes. Les usines syndicales au contraire appartiennent aux propriétaires des habitations desservies, chacun pour une part proportionnelle à leur importance. C’est alors qu’apparaissent pour certaines habitations les difficultés de transport résultant de leurs conditions topographiques et pour la plupart, l’impossibilité d’accéder au crédit pour assurer les investissements nécessaires. Après la fondation du Crédit foncier colonial, en 1860, seuls deux propriétaires qui disposaient d’un fond   de terre d’un seul tenant et sans difficultés topographiques peuvent emprunter et créer une usine : Eugène Eustache pour le Gallion et le baron de Lareinty pour le Lamentin. En 1865, s’ajoutent les usines du François puis en 1868 du Robert, en 1871 s’achèvent celles de la Dillon, de Rivière-Salée, de Petit-Bourg, du Simon, du Marin et de Trinité. A l’exception du Gallion, de Gradis et du Lareinty, la plupart de ces usines sont ’centrales’, c’est-à-dire créées sans terres.

La lutte entre usines va entraîner de fortes incidences sur le paysage   agraire, en particulier dans la baie de Fort-de-France, lorsque, après la crise de 1883-1890, les usines fondées sans terre vont se constituer un capital foncier pour assurer leurs approvisionnements en cannes. Des habitations fort éloignées des usines, mais placées à des endroits stratégiques, vont être achetées afin de gêner ou de bloquer l’approvisionnement en canne par voie ferrée de l’usine rivale. Il en résulte une grande disparité dans le capital foncier de certaines usines parmi les plus puissantes, mais surtout la disparition définitive des dernières habitations sucreries et de la plupart des habitations indépendantes qui livraient leurs cannes non transformées (habitations ’adhérentes’). L’habitation   devient terre des propriétaires d’usines qu’il s’agisse d’une société ou de particuliers.

L’usine, ses cheminées et ses rails font désormais partie du paysage   rural aux abords des bourgs et même des villes. Quel que soit le mode de culture adopté, toutes les habitations sont parcourues par des chemins ou ’traces’ de sept à huit mètres de largeur en moyenne qui découpent les terres en ’pièces’ de 1 à 2 hectares de superficie et dont chacune porte un nom. Ces traces permettent l’accès des ’cabrouets’ au moment de la récolte.

La crise de 1883 qui se prolonge jusqu’en 1904 provoque la faillite de certaines mais surtout incite les propriétaires indépendants à abandonner l’usine en fabriquant du rhum ’zabitant’ : cela ajoute au nombre de cheminées dans le paysage  . D’autres cessent de cultiver la canne pour revenir aux cultures dites secondaires : le cacao et le café principalement dont les exportations doublent entre 1890 et 1900. La superficie consacrée aux vivres quant à elle atteint 15.000 hectares et reste stable jusqu’à la guerre.

En 1931, les usines centrales sont au nombre de 15, concentrant la récolte des parties planes, à l’exception de celle de Saint-Joseph où le relief est plus prononcé. Ces usines ne sont pas d’importance égale et il ne s’en trouve que huit qui produisent plus de 1500 tonnes avec des installations en proportion. Celle de Soudon, au Lamentin vient en tête.