Paysages amérindiens

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*La Martinique, nature du couvert végétal, d’après Lasserre (dir.) 1977

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*Carte de convergence entre les sites suazoïdes et les mangroves, d’après Lasserre (dir.), 1977

Par leur localisation, les sites amérindiens prouvent que les premiers occupants de l’île ont distingué deux milieux naturels, deux paysages : la forêt humide au-dessus des falaises tombant sur la mer d’une part, la mangrove s’avançant vers les îlets et les récifs d’autre part. Ces deux milieux correspondent à deux phases du peuplement et à deux cultures distinctes, la saladoïde et la suzaoïde, que l’on appelle communément arawak et caraïbe.

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* Sébastien Le Clerc, Tableau de L’îsle de St Christophe et De la Province de Bemarin, 1655

Auparavant, le peuplement végétal et animal de l’île s’était fait au gré des vents, des courants et des migrations de certains oiseaux, en provenance de la Terre ferme du continent américain. Seules ont pu survivre au voyage les graines flottantes ou volantes les plus vivaces et les espèces animales les plus petites et les plus résistantes, au dépens des gros mammifères terrestres. Il leur a fallu ensuite trouver le milieu le plus favorable à leur survie et à leur reproduction. Le peuplement végétal a bien résisté aux premières rencontres avec l’homme, Amérindiens, coupeurs de bois européens et premiers colons. Certaines espèces animales comestibles ont bien moins résisté et même disparu à la fin du XVIIIe siècle, comme dans toutes les îles soumises à la colonisation européenne. Le père Delawarde a fait le relevé de cette faune disparu et le graveur Leclerc nous a laissé pour Saint-Christophe un tableau des espèces que les premiers colons européens y ont trouvées [1].

Le manicou (Didelphis marsupialis insularis, Allen) existe toujours, mais l’agouti (Dasyprocta antillensis, Svater) a disparu, comme les perroquets (Amazona martinica) et les aras (Ara martinica), les grosses grenouilles (Leptodactuylus fallax, Linné). Le lamentin et les tortues de terre n’existent plus et les tortues marines délaissent les plages de la Martinique.

Les Amérindiens ont introduit des plantes alimentaires soit du continent, soit des grandes Antilles après l’installation des Espagnols : manioc, maïs, toloman (Calathea allouia), patates douces, choux caraïbe (Xanthosoma sagitifolium), igname américaine (Dioscorea trifida), arachides, pois (haricots rouges), ananas, des arbres fruitiers : papayer, bananier, canne à sucre et des plantes d’artisanat (coton) et médicinales : tabac, roucou et ricin. Ces espèces ont peu modifié le faciès écologique de l’île, mais sont d’une importance capitale pour la diète alimentaire de la société coloniale qui en a hérité.

Si les Caraïbes n’occupaient que de façon temporaire des sites implantés sous le vent à proximité de la mer, cela implique des abattis de surface plus limitée que sur la côte au vent, mais ne préjuge en rien de l’utilisation qu’ils pouvaient faire des bois de la forêt jusqu’à une certaine distance du rivage. Ce prélèvement forestier était effectivement plus léger que celui qu’ont opéré les premiers défricheurs venus d’outre-atlantique, au fur et à mesure que leur nombre s’accroissait et qu’ils étaient poussés loin de Saint-Pierre vers le nord et l’est de l’île. En outre, le déplacement périodique du jardin caraïbe (10-12 ans) permettait au couvert forestier de se reconstituer, alors que le jardin créole   (l’habituée) et le champ de cultures commerciales [2] ont été conçus dès l’origine pour durer indéfiniment. Cependant, l’opposition entre cultures purement vivrières, que l’on prête aux Amérindiens, et cultures ou plantations commerciales, qui seraient le propre des Blancs, mériterait d’être sérieusement critiquée car elle repose sur l’a priori idéologique que les Amérindiens ignoraient les échanges commerciaux, ce qui est parfaitement inexact concernant les Kalinago ou Caraïbes [3] : avant la colonisation et dans les premiers temps de celle-ci, les Caraïbes troquaient du bois, du pétun, des vivres et même des esclaves avec les Européens.

Si l’on ne croit plus que la végétation rencontrée par les premiers colons français était ’primaire’ et inviolée par l’homme, on a tendance à réduire l’action que les Amérindiens pouvaient avoir sur elle et à affirmer que celle des Blancs a immédiatement été plus destructrice.

Bien plus que celle des Européens, la culture matérielle des Amérindiens reposait sur le bois et l’exploitation de la forêt : la différence essentielle tient donc d’abord à la pression démographique supérieure que la colonisation a imposée au milieu naturel.

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* Paysage   de Schoelcher,1500, Dessin Rodriguez Loubet

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* Paysage   du Macouba, 1500, Dessin URBA 97

Grâce à des enquêtes pluridisciplinaires, des restitutions paysagères ont pu être réalisées pour l’Anse Madame et pour le Macouba vers 1500 (Urba 97).