L’emprise coloniale
Au début du XIXe siècle, au terme de la première colonisation sucrière, un érudit dessine pour l’impératrice Joséphine une série de cartes de son île natale, réunies en un album. Elles reflètent parfaitement la perception du paysage de cette époque, opposant les espaces sauvages d’avant l’occupation européenne aux espaces localisés, dénommés et habités par la colonisation. Sur la carte n° 2, les occupants caraïbes ne sont même pas mentionnés – ils n’apparaissent que dans la notice - ; en fait la carte est muette parce qu’elle représente un espace sauvage, caractérisé par les montagnes et les ’grands bois’. La carte n° 6, au contraire, signifie l’appropriation coloniale par la disparition de la forêt, la désignation des lieux utiles et l’installation des villes et des bourgs.
Cette démonstration cartographique n’est qu’une vue de l’esprit, une pure projection de la volonté d’appropriation du monde qui caractérise l’Europe au XIXe siècle. Dans la réalité, plus du cinquième de la superficie totale de la Martinique de 1800 est constitué par les paysages sauvages et non pénétrés qui s’étendent autour de la Montagne Pelée et des pitons du Carbet. A ces surfaces en ’bois debout’, il faut ajouter les régions de « mangles » ou mangrove dont les principales se situent au fond de la baie du Lamentin, alors que la plaine du même nom est encore mal drainée.