Chemins de fer

Les voies de la Martinique ont une largeur double (entre 1,20 et 1,30) de l’empâtement des Decauville (0,40 à 0,60 m de large) et n’en sont donc pas à proprement parler. Pourtant, les voies sont constituées d’éléments, préfabriqués et soudés, qu’il suffit de poser sur un tracé plus ou moins grossièrement dégagé. Les locomotives sont souvent de fabrication anglaise ’Davenport’ et les wagons, en tôle ou bois sur essieux importés, sont le résultat de l’habileté des artisans locaux.

Plus qu’au désenclavement des quartiers, la voie ferré a contribué puissamment à la concentration foncière et industrielle au bénéfice des usines centrales. Toutes les petites habitations-sucreries se trouvent piégées dans la toile d’araignée de l’une ou l’autre des puissantes installations qui dominent la production et le marché à partir des années 1860.

Dès mars 1866 un arrêté du Gouverneur réglemente la surveillance des locomotives En 1868, l’usine du Robert achète par contrat la production de cannes de diverses habitations du quartier et se charge du transport. Mais par le même contrat elle contraint les habitations à lui concéder gratuitement le passage pour toutes les voies qu’elle jugera bon d’établir et leur interdit la fabrication sauf défaillance de sa part. La voie ferrée a donc précipité l’abandon de la fabrication sur les habitations qui d’unités industrielles se sont trouvées déclassées comme unités purement agricoles. Le 22 novembre 1871, Messieurs Quennesson et Bougenot, administrateurs de l’usine de Petit-Bourg, obtenaient l’autorisation de tracter par locomotive les wagons qui étaient jusque-là hâlés par des animaux. Cet acte est intéressant car il prouve, qu’à la Martinique comme ailleurs, l’utilisation des rails, de la voie ferrée et des wagons a précédé celle de la traction à vapeur. Une des grandes raisons de ce décalage se trouvant être la difficulté d’approvisionnement et de combustible pour la locomotive dans une île dépourvue de forêt et de charbon.

En 1905, l’usine centrale de Fonds St-Jacques est affermée à Henry Simonnet : Elle est alors alimentée par 6,5 km de chemin de fer, à pente escarpée et 1 m d’écartement. La traction se fait avec une locomotive de 10 tonnes et 72 wagons en bois. En 1934, après liquidation et morcellement, il n’en reste plus rien.

Les usines centrales qui ont introduit la voie ferrée sont aussi responsables de l’absence de réseau intégré dans les îles antillaises. La guerre qu’elles se livrent sans cesse entre elles les conduit a rechercher des écartements de voie différents de ceux de l’usine voisine, à renforcer les obstacles naturels et à en dresser pour barrer leurs terres aux voies ferrées ennemies et empêcher les vols et détournements de cannes.

Les conditions de relief ont, bien entendu, joué autant que la volonté de concentration. Les régions montagneuses possèdent quelques lignes dispersées mais par de toile d’araignée. Les grandes plaines possèdent au contraire des réseaux de plusieurs dizaines de kilomètres. Les plaines du Lamentin et de Rivière-Salée offrent le plus important exemple de réseaux avec, d’abord, celui du Lareinty-Soudon qui fait 37,5 km, suivi par celui de la Rivière Monsieur-Dillon et, plus au sud, les réseaux intégrés dans l’Entre-deux-guerres des usines de Petit Bourg et de Rivière Salée qui totalisent près de 39 km jusqu’au Saint-Esprit.

Cet épisode de l’histoire des transports a laissé des souvenirs qui disparaissent peu à peu avec les derniers témoins. Plus importants et plus durables, parce que souvent protégés désormais, sont les vestiges des machines, des ouvrages d’art et des remblais. Chaque réseau d’usine possédait ses gares où les wagons attendaient depuis le matin le chargement de cannes qu’ils ramenaient le soir à l’usine. On a aussi construit des guérites en brique pour les gardes barrières dont quelques-unes subsistent.

Le chemin de fer a proclamé pendant une assez longue période (1860-1950) le triomphe de la modernité sinon de la Révolution industrielle aux Antilles. Il n’y a cependant jamais eu de véritable réseau comparable à celui de La Réunion et les voies et les ouvrages, lorsqu’ils subsistent, ne sont plus que des débris à l’abandon.